“Il est temps de passer de l'archipel des soins au continent des soins interconnecté et intégré dans un système complet”

12/10/2022

Du 11 au 16 juillet ont eu lieu à Zaldibia les stages d'été intitulés “Gizartea bere espazio publikoen antolakuntza eta eraldaketan” (la société qui organise et modifie ses espaces publics). Pour en revenir au même thème, nous avons rencontré Irati Mogollon Garcia qui a animé la table ronde “Ertzetik Erdira” pour en savoir un peu plus. Irati Mogollon est docteure en sociologie et chercheuse à la fondation Matia.

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Ces derniers temps on parle beaucoup de soins (et bien plus encore depuis la pandémie de Covid). De quoi parle-t-on exactement ? Le modèle lui-même est au cœur de tous les débats. Que faut-il changer ?

Les soins, ce sont toutes les activités quotidiennes nécessaires au soutien des vies. Nous avons tendance à associer les soins avec la maladie ou des situations très spécifiques, notamment quand les soins intensifs sont nécessaires. Pourtant, quand on parle de soins, il s'agit de créer des supports nécessaires au soutien de nos vies, et de créer des rapports systémiques entre ses différents supports. Nous pensons que la vision du soin est en train d'évoluer : par exemple, chez la fondation Matia nous avons adopté la devise "passer d'aider les besoins à aider les vies". Le premier changement est donc un changement de vision.

Et pour cela, il faut repenser le système tout entier. D'abord, nous devons repenser les structures publiques du bien-être, mais aussi leurs relations. Des études scientifiques ont démontré qu'il y avait trop peu de relations entre différents services des administrations : services sociaux, centres de jour, services à domicile, services de santé, la famille, les supports psychologiques pour les soignants... nous sommes très nombreux à travailler dans cette direction, mais nous ne nous concertons que pour les situations urgentes. Ceci complique la tâche, et rend vulnérables les parcours ou circuits de soins. Aussi, il est temps de passer de l'archipel des soins au continent des soins interconnecté et intégré dans un système complet autour d'une structure communautaire.

Quelle évaluation faites-vous des nouvelles politiques conçues et mises en œuvre dans certaines communes ?

Elles sont très courageuses. Même si nous sommes conscients de n'en être qu'au début, il me semble que tout processus de transformation de l'administration publique peut être compliqué et demande du courage. Les processus d'institutionnalisation ont engendré, dans l'administration publique, de la bureaucratie et de la lenteur. Pour changer cela, le défi est aussi politique que culturel.

On entend souvent dire que le soin aux personnes âgées sera le plus grand défi des prochaines années. A votre avis, quels éléments clés devront être pris en compte ?

La désinstitutionalisation : créer des processus et des structures plus proches, plus citoyennes et plus personnalisées.

La personnalisation : l'objectif principal doit être de mettre en place un plan ou une stratégie pour soutenir la vie de chaque personne. En adaptant la structure ou le système à la personne, pas la personne à la structure.

Action collective et normalisation : nous sommes une société qui a besoin de soins. Il s'agit de faire sortir les soins de l'hôpital ou des services sociaux, et de les ouvrir à la société. Pour cela, il faut mettre en place des stratégies de normalisation, en plaçant les centres de jour dans les centres-villes, en intégrant les soins dans des espaces privilégiés, pas en les maintenant dans le domaine domestique privé. Dans cette voie, il sera tout aussi important de déconstruire les idées reçus et tabous liés à l'âge.

Et pour terminer, une réorganisation sociale des budgets : le débat est vaste sur les moyens à mettre en œuvre pour un tel processus, mais aussi sur comment avoir un usage plus efficace de ces ressources.

Vous travaillez, vous-même, à la création d'un Ecosystème de Soins avec la municipalité d'Usurbil. En quoi cela consiste-t-il ?

La Mairie d’Usurbil est engagée dans la mise en place d'une Ecosystème de Soins. C'est une transformation sociale et communautaire. La mairie d'Usurbil et la Fondation Matia mènent un processus participatif sur le modèle de soins. Ce processus prévoit, dans l'idée qu'il soit coconstruit, la participation des institutions, des secteurs du soin et des acteurs de la communauté. Cette évolution agira inévitablement sur le modèle de gestion des services sociaux, le volontariat des acteurs sociaux, sur les engagements de soins ainsi que sur la culture des soins sociaux. Actuellement, le système se compose de cinq groupes opérationnels, avec l'implication de plus de 30 citoyens, et le 19 novembre prochain nous allons organiser, dans la commune, un Salon des Soins pour socialiser la réflexion et la stratégie envisagée. Bien entendu, vous y êtes invités !

Concernant les services et structures municipales, les plus connues sont la maison de retraite, le centre de jour et les services de soutien à domicile. Les municipalités ont-elles la compétence pour proposer d'autres choses ?

Bien sûr. Les municipalités, avec leurs équipes des services sociaux, devraient être les principales responsables de la coordination socio-sanitaire et socio-communautaire. C'est à elles de prendre le relais de la création de cet écosystème. Et nous devrions tous reconnaitre que, trois réunions de coordination par an ce n'est pas suffisant. La coordination suppose des programmes partagés, des outils en commun, des stratégies unifiées. Ceci requiert de la transversalité, et beaucoup de travail. Le défi consiste à sortir des bureaux et de la sectorisation de l'administration publique, de travailler ensemble, et tout ceci, seules les municipalités peuvent le faire.

Il y a aussi la question des "soignants permanents" à domicile. Quelle est leur situation aujourd'hui ?

C'est un besoin et une réalité qui est difficile au quotidien. Ces personnes sont confrontées à de l'isolement social et professionnel important. Si nous voulons résoudre ce problème, il nous faut changer le système, afin que ces "soignants permanents" ne soient plus nécessaires. Malheureusement, actuellement ils bouchent le trous, répondent aux besoins de conciliation des familles, et sont souvent la seule solution proposée pour accompagner le grand âge au domicile. Donc, plutôt que de se demander s'il en faut ou pas de ces "soignants permanents", il nous faut comprendre la fonction qu'ils remplissent dans le système, pour apporter des réponses adéquates et résoudre ces situations de vulnérabilité.